Oser sa vulnérabilité. Le super-pouvoir des résilients qui nous inspire.

Par Laetitia Santarelli

Être ou ne pas être vulnérable, telle est la question. Nous venons d’une époque où les règles du jeu de l’humanité dictées par le niveau de conscience global nous incitait plutôt à cacher nos blessures. Comme un animal blessé dans la jungle, nous étions en proie à des prédateurs qui pour s’illusionner de leur supériorité supposée s’évertuaient à nous maintenir faibles ou à nous achever tel un médecin de Molière.

Pour maintenir l’illusion, la stratégie de ces prédateurs s’appuyait :

  • La séparationd’avec tous et d’avec tout le vivant. 
  • La diminution des ressources matérielles et du soutien que l’on peut recevoir d’autrui.
  • La réduction à une peau de chagrin de nos ressources internes, de notre force vitale, de notre ingéniosité et du soutien de la spiritualité. 

Seul un enfant de 10 ans pourrait encore percevoir le monde sous cette réalité déformée : affaiblir l’autre pour survivre.

Archaïque ? Heureusement oui, pour beaucoup et de plus en plus. Un stratagème voué à l’obsolescence, que vous y croyez ou non, que cela vous plaise ou pas. L’évolution, irréversible, entre enfin dans sa phase de puberté. Elle s’écarte du stade primitif du développement comparable à celui de l’enfant entre 0 à 5 ans. Elle s’éloigne des mécanises psychologiques d’une maturité juvénile dominée par ses propres pulsions, de l’âge de la compétition du : « je fais mieux et je possède plus que toi…je suis le plus fort et le plus beau…mes parents ont plus d’argent que les tiens et je suis plus puissant. »

Voici venu le temps de l’adolescence, des 12/20 ans sommairement. Attachez-vos ceintures, nous changeons de paradigme !

Un tout autre univers s’ouvre : la relation aux autres. Nous lâchons nos premiers « objets » d’amour : nos parents dans le cas des enfants, les figures parentales à l’échelle de l’humanité : la société, les institutions, le gouvernement…, pour nous aventurer vers l’autre, pour porter la contradiction, pour nous affranchir des règles limitantes ou injustes.

Comprenez-vous mieux le chaos, la concentration de forces, d’influences, de polarisation, dans lesquels nous nous trouvons ? Saisissez-vous mieux les incompatibilités entre la vision des uns et la vision des autres, entre ceux qui veulent continuer de jouer avec les anciennes règles du « je(u) » et ceux qui sont prêts, depuis leur naissance parfois, à adopter les nouvelles : entraide, respect, égalité, union, collaboration, innovation, pour le bien de tout le vivant.

Souvenez-vous de la révolution interne que l’on traverse, durant cette métamorphose adolescente, sur ce pont entre le monde de l’enfance et le monde de l’âge adulte. Une traversée pas vraiment paisible mais non sans réjouissances si l’on saisit que nous naviguons en pleine tempête et qu’il vaut mieux opter pour l’aventure et la sincérité, plutôt que subir la confusion ou le trouble. Il faut bien que jeunesse passe…

Oserez-vous à l’image de ces nouveaux héros qui envahissent les plateaux des « TED Talks » vous dévoiler, montrer votre vulnérabilité pour inspirer les autres et les aider. Oserez-vous, vous connecter à eux à travers vos blessures communes ? S’il (elle) a survécu à la mort d’un enfant, à une guerre, à une humiliation publique, pourquoi pas moi ? Quoi qu’il en soit, le but est clair : créer du lien ! Enfin ! 

Sur le devant de la scène maintenant, le partage de nos blessures nous aide à guérir, à reprendre nos responsabilités, à nous décentrer, à aller vers l’autre sans but de domination, même sous couvert de bonnes intentions, comme ces « sauveurs » qui déresponsabilisent en se glorifiant de sauver de « pauvres victimes ». 

Alors que l’injonction de garder le silence nous isole dans nos souffrances, nous empêche de créer du sens à partir de ce que l’on a vécu et nous ferme à la résilience, le partage avec pudeur et authenticité active la pulsion de vie et l’envie de guérir à son tour.

Approfondissons l’art d’oser sa vulnérabilité à partir de deux conditions complémentaires sine qua non :

  • être déjà bien désensibilisé des émotions fortes liées aux traumatismes  pour être en mesure d’inspirer autrui.
  • Avoir l’intention sincère de guérir et la force de défier, pour se protéger de celui qui pourrait oser vous attaquer lorsque vous venez de lui donner les clés pour possiblement le faire. 

Imaginez que dans un élan d’ouverture à l’autre, vous vous dévoiliez, mettant ainsi à nu votre authenticité, vos atouts et vos blessures et que « l’autre » sans serve pour vous blesser. Qui est le plus à plaindre ? Vous, probablement, pour la souffrance endurée mais quel service au final cette personne vous rend-elle ! En trahissant son immaturité, vous la tiendrez à distance.

Cela revient à se demander comment faire confiance à l’autre. La réponse est simple même si son application est plus difficile. Jamais, vous n’aurez la garantie que quelqu’un que vous aimez et qui vous aime en retour ne vous blessera ou que vous ne la blesserez :

  • Soit, vous devez renoncer aux relations interpersonnelles mais dans ce cas, soyez vigilant car si vous vous persuadez que vous ne pouvez faire confiance à personne, la vie se chargera bien de vous donner raison ! Certaines personnes craignent tellement l’intimité après une blessure de cœur qu’elles sabotent inconsciemment leurs relations en choisissant les « mauvaises personnes » et qu’elles mettent en échec leur stratégie de protection.
  • Soit, il vous faudra ouvrir votre cœur davantage. Après avoir été brisé, il se répare et peut recevoir encore plus d’amour. Il n’en tient qu’à vous.

Une autre option nous invite à cacher notre authenticité, à cacher nos blessures en espérant que l’autre ne les découvre pas. Ainsi alimente-t-on son narcissisme en se montrant « sous son meilleur profil ». Une sécurité factice en réalité car laisser des souffrances dans l’ombre, c’est les abandonner à l’inconscient. Celui-ci fera exactement ce qu’il faut pour créer des situations qui vous mèneront à la reproduction de traumas non-résolus. Il vous incitera à les « transmuter » et ce parfois d’une génération à l’autre. Prudence donc quant à votre part d’héritage et à celui que vous léguerez. Prenez de la distance pour guérir votre flux psycho-émotionnel. Feriez-vous l’amour avec une personne dont vous êtes profondément amoureux en lui cachant qu’une partie de votre corps vous fait terriblement souffrir ? Pourriez-vous lui mentir dans cet acte d’union sacrée qui requiert une telle confiance en l’autre ?

Brené Brown, travailleuse sociale, chercheuse en sciences humaines et sociales à l’université de Houston évoque deux facteurs complémentaires qui nous empêchent de montrer notre vulnérabilité : la honte de ce qui nous est arrivé, de ce que nous avons fait ou pas et la peur de ne pas « être assez » bien, beau, intelligent, éduqué, riche ou bien encore créatif, etc…  pour pouvoir rentrer en contact avec quelqu’un ou l’intéresser. 

C’est encore de l’ordre de la dualité, de l’illusion, de la séparation qui fait souffrir. Pour y répondre, le « ce que je suis, suffit » est efficace. Reconnaître son individualité avec ses moments de gloire, ses cicatrices et ses échecs est justement ce qui nous rend « beau ». Encore plus puissant est d’imaginer que chaque individu que nous croisons est un « morceau », une facette de nous-même, du grand tout et que nous créons réunis un champ de possibles. Nous ne sommes qu’un petit bout mais qui est aussi précieux que l’ensemble, comme une cellule du cœur est aussi précieuse qu’une cellule de l’intestin.  Ensemble, elles créent le grand tout, ni meilleure, ni pire qu’une autre. 

Les résilients sont capables de montrer leur vulnérabilité car ils ont intégré le traumatisme. Ils ont créé du sens avec par un travail d’acceptation et de restructuration de l’histoire vécue. Ils changent de statut en passant de victime de la vie en héros de leur propre histoire. Ils utilisent la force du trauma pour se renforcer et ouvrir leur cœur plutôt que de le laisser s’atrophier. Ils transforment ce qui les a desservis en ce qui les a servis à grandir. 

L’heure n’est plus aux mensonges, aux déguisements bon marché de super-héros, aux fausses personnalités ou aux vrais imposteurs… Aujourd’hui, les vrais héros sont humbles, sans fard. Ils ouvrent leur cœur et montrent leurs blessures, leur (hyper) sensibilité et s’exposent, prêts à être potentiellement blessés.

Honte à tous ceux qui utiliseront leur vulnérabilité pour les blesser. Démasquer au grand jour, le monde verra leur vrai visage. Espérons que, touchés par la tolérance et la compassion de ces nouveaux héros, ils finiront par souhaiter leur propre guérison, réalisable dans un espace de distance bienveillant et respectueux, dans lequel ils seront placés par les résilients qui savent se protéger, sans pour autant détruire ceux qui les ont blessés. Peut-être alors, s’autoriseront-ils à avoir le courage de guérir et d’évoluer ? Peut-être, peut-être pas…

Prenez-soin de vous et les uns des autres, 

Laetitia Santarelli 

Sources :

 

Renée Brown, The power of vulnerability

Deepak Chopra, Being vulnerable

José Stevens, The sweet deliciousness of destruction

Boris Cyrulnik, Le penseur de la résilience

Pema Chödron, Faire de sa vulnérabilité une force